Réalisateur, scénariste français, enseignant à l'université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, le Charentais Pascal-Alex Vincent est l'un des meilleurs connaisseurs français du cinéma japonais. Il évoque la carrière inclassable et la place unique tenue par Yasujirô Ozu dans le cinéma mondial , et dont l'oeuvre majeure "Voyage à Tokyo" a été présentée le 29 avril 2022 à l'Espace Brémontier.
Une révélation tardive. Il a fallu un demi-siècle pour révéler au grand public "Voyage à Tokyo", le chef-d'oeuvre du cinéaste japonais Yasujirô Ozu. Tourné en 1953, détruit la même année dans l'incendie accidentel d'un entrepôt cinématographique, "Voyage à Tokyo" a pu être fidèlement reconstitué grâce aux chutes et aux copies en positif. Resté longtemps confidentiel, le film est définitivement entré dans la carrière en 2013, après une coûteuse restauration, mais conforme aux conditions du premier tournage.
Réalisé à la fin de la période d'occupation du Japon par les forces américaines, "Voyage à Tokyo" est le miroir d'une société qui bascule dans le XXe siècle à la faveur d'un miracle économique. Plus rien ne sera comme avant, comme l'a suggéré Ozu.
Les années cinquante correspondent aussi à l'évolution artistique du maître japonais. Celui-ci trouve son style qui caractérisera l'ensemble de son oeuvre, dès l'après-guerre. Considéré comme le cinéaste de la forme, Ozu s'obstine à négliger les mutations technologiques du cinéma pour tourner uniquement en noir et blanc (sauf en fin de carrière), en format carré et plans fixes, le regard des comédiens dirigé vers la caméra posée au sol....
"Ozu est obsédé par une vision géométrique du monde, ses films (54 au total) sont cadrés de manière vertigineuse, chaque plan est composé de manière mathématique et pensée", explique Pascal-Alex Vincent qui révèle qu'Ozu travaillait ses plans chronomètre en main!
Inventeur de formes, il est aussi le dépositaire d'une "grammaire" cinématographique unique, si mystérieuse en soi, si difficile à reproduire aussi. "Le style Ozu nous a permis de comprendre ce qu'était la mise en scène", ajoute t-il. Il a influencé des cinéastes contemporains, tels Wim Wenders rendant hommage au langage inimitable du "plus japonais des cinéastes japonais", ou Wes Anderson, reconnaissant " tout devoir à Ozu".
Un maître sans héritiers
Dès 1945, Ozu se concentre sur son thème de prédilection: la famille. Qu'il va décliner "comme un miroir, un reflet de la société japonaises d'après-guerre", ajoute Pascal-Alex Vincent. "Printemps tardif" en 1949, "Voyage à Tokyo" en 1953 jalonnent ce sillon linéaire que laboure Ozu, entre espace de l'intime, érosion de la cellule familiale et valeurs ancestrales.
Ozu laissera à la postérité cette image singulière "d'avoir 'obstinément sculpté son oeuvre de la même façon, tel un artisan". Un canevas systématiquement orienté vers la famille, avec des personnages identiques, les mêmes équipes de techniciens et de comédiens...
"C'est très singulier dans l'histoire du cinéma mondial, estime Pascal-Alex Vincent. On ne lui connait pas d'héritiers; Mais l'apport d'Ozu est cependant considérable dans la façon de faire du cinéma. Il a inventé un système formel de mise en scène, un langage cinématographique que personne n'a pu reproduire. Un langage qui n'appartient qu'à lui".
L'ultime voyage de Yasujirô Ozu intervient en décembre 1963 à l'âge de soixante ans.
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